Premier passage de frontière, la peur au ventre. La veille en Pologne j'avais rencontrer des personnes qui m'avaient mis en garde : « tu vas voir ils sont fous ! Est-ce que tu as une arme pour te défendre ? Ils vont te voler ! Il faudra payer ton passage dans leur pays !... ». En vrai tout s'est bien passé, et avec le sourire en plus.
L'Ukraine était un pays transitoire pour moi. Il signifiait le passage de l'ouest à l'est, de l'Europe à l'Asie. J'oubliais que c'est un nouveau pays à traverser, avec ses gens, ses vaches, sa richesse et sa pauvreté. Les extrêmes se côtoyant, les routes défoncées, les bicoques branlantes et les villes modernes où l'on se perd comme si la ville voulait nous manger, nous digérer et nous recracher ensuite laissant de nous que le gris de nous-même.
Ci-après un mail que j'ai envoyé à mes proches.
Vendredi 13 mai 2011
Mer noir 30 km à l’est d’Odessa
Déjà parcouru 3000 km
Bien le bonjour à tous,
Enfin internet au bord de la mer en sirotant un thé vert avec un fond de techno music : let’s dance !! En bref : Ukraine : dur dur. Les gens sont très gentils même s’ils ont le sourire petit. C’est un peu comme il y a 15 ans en Pologne, les routes avec des trous à cacher une garnison, les camions et voitures fumants de toute part, des contrôles de police à chaque village. Des indications ??? C’est un peu dur pour le moral, pour le coup je suis dépaysé à l’extrême et je pense que ce n’est pas fini. Très peu de gens parlent anglais, j’ai croisé un français en plein centre d’Odessa aujourd’hui, j’étais un peu hébété d’entendre ma langue, ça fait drôle.
Je dors en bivouac, ici c’est assez facile mais je rêve d’une douche chaude et d’un vrai lit, de discussions un peu plus élaborées aussi. La France me manque et j’ai du mal à m’arrêter de rouler. Je me sens en sécurité sur ma machine et je me force en me donnant des objectifs à entrer dans les villes mais je suis frustré de beauté. Malgré le beau temps qui me suit je trouve tout gris et tirant la gueule. Seul des visages de femmes aux traits fin me réchauffent le cœur. J’en arrive à me demander si le sourire n’est pas limité à une demi heure par jour. J’ai deux semaines à utiliser en Ukraine, il faut que je m’y fasse.
Pour moi c’est un peu l’entre deux : entre la civilisation où tout est cadré et les espaces vierges que j’attends far, far away. Il m’est arrivé hier soir de trouver un beau champ avec des fleurs, un site idéal pour camper mais je me suis rendu compte que c’est l’endroit où l’on enfouit les déchets ….. plastique du coin. Extrême aussi le coût de la vie. Hier j’ai mangé une soupe et un plat sur la route et ça m’a couté en gros 3 € et aujourd’hui à Odessa ville tentaculaire qui ne veut pas te laisser sortir afin de te manger tout cru, j’ai mangé une pizza et un café pour 8 €, le même prix qu’en France, le sourire en moins. Mais bon chaque jour il y à une étincelle qui fait que le moral reste stable. Les repères sont tellement différents de chez nous que c’est un peu déstabilisant, ça laisse peu de place au repos réparateur.
On me traite de fou de temps en temps et la question récurrente est : tout seul ??? et oui tout seul. Dans chaque pays on me conseil de me méfier du pays plus à l’est……. La moto va bien et j’espère trouver l’occasion de me baigner dans la mer, trouver une plage accueillante n’est pas facile.
J’ai hâte d’être au Kazakhstan mais je profite de ce que je vis là et maintenant. J’apprends encore sur moi, dans ces situations où il y a quelque temps encore m’auraient affolées, je les prends avec philosophie et dès que je sens que la pression monte, je trouve une solution favorable.
Vous me manquez. J’espère que tout va bien pour vous. Je vous embrasse.
Ci-joint quelques photos de Mathias et du camp d’Auschwitz.
Michaël
J'étais pressé d'entrer au Kazakhstan où il me semblait que l'allais toucher mon rêve. Ce pays attendu, représentait pour moi la porte vers les steppes, vers les nomades et la liberté qu'ils incarnent.
En réalité l'Ukraine m'a appris à m'immerger dans la culture russe, à prendre conscience des peurs qui m'habitaient. Je peux dire que j'ai été coloré par ce que j'ai appris de l'URSS à l'école, j'avais des aprioris sur les russes. D'un certain point de vue je pouvais les voir comme sanguinaires, espions et récalcitrant à toute forme de changement. De plus plonger dans cet univers totalement inconnu rajoutait une tension en moi, une méfiance vis à vis de la population que je rencontrais. Et puis, la sensation d'être un étranger n'arrangeait pas les choses. Tout cela mélangé faisait que je me présentais au monde en mode restriction, en fermeture. Tout me renvoyait à cette fermeture intérieure : Le gris du ciel, les routes impraticables, les couleurs des maisons, les visages sombres et fermés.
Puis un jour j'ai compris, j'ai senti en moi cette fermeture et cette méfiance. Comment continuer à cheminer dans le doute ? Comment profiter de ce voyage si je ne fais pas confiance et que je ne m'ouvre pas au monde ? Ce serait comme m'isoler intérieurement, construire une carapace qui me protègerait de l'extérieur et en même temps qui m’empêcherait de Vivre. Alors j'ai décidé de lâcher, j'ai décidé de m'en remettre à la Vie, de me laisser guider par mon âme et de m'offrir au monde. Et ce fût radical. Là où je voyais méfiance et fermeture, m'apparaissaient désormais ouverture et proximité. Les personnes que je rencontraient passaient de l’hostilité ressentie à l'aide proposée. Le gris lourd du ciel laissait place au bleu léger et aérien laissant apparaître le soleil. Quelle expérience !
Ce passage en Ukraine me préparait à vivre mon voyage. C'était l'étape de fin de rodage. L'étape où une décision était nécessaire à prendre. La couleur de cette expérience en dépendait. J'ai rencontré beaucoup de voyageurs circulant de diverses façon. J'ai pu remarquer, outre leur propre rythme, qu'ils vivaient des expérience que je sentaient influencées par leur état intérieur. Je me rappelle d'un motard qui s'est fait volé à plusieurs reprises et je me rappelle que cette personne avait constamment peur et se positionnait d’emblée sur la défensive.
Après cette prise de conscience, j'ai tout lâché. Je me voyais voyageant nu sans rien à défendre. Si un jour on devait me menacer pour me voler, j'acceptais de tout donner et j'acceptais de vivre cette expérience. Pourquoi risquer ma vie pour la matière à laquelle je me sens attaché ? Pourquoi risquer de passer à coté de mon voyage en me protégeant. Je pressentais à ce moment ce que j'allais commencer à expérimenter plus consciemment dans mon quotidien à mon retour en France. Je faisais connaissance avec le lâcher prise.
Ci-après un mail que j'ai envoyé à mes proches.
Oberhausen bar
N 47°51’03.3’’
EO 35°07’15.5’’
18 mai 2011
Moral : excellent
Salut à vous tous,
Tout d’abord, je vous envoie à tous beaucoup d’amour. Je vous sens avec moi et ça fait du bien, ça me donne de la force. Vos messages me font monter les larmes tellement j’ai conscience de la chance que j’ai de vous avoir. Merci merci merci.
Ça y est, je me suis acclimaté, je me suis habitué au cyrillique et je peux le déchiffrer. Le sourire des ukrainiens est bien présent, c’est le mien qui faisait défaut et du coup pas de retour et c’est normal. Oui l’adaptation est difficile, les repères sont si différents. Et puis je me suis débarrassé de la peur, de l’insécurité. En Pologne, en discutant un gars m’a dit : « tu vas en Ukraine ? as-tu un gun ? car ils sont fous là bas. Gloups, même si je faisais le malin, mon entrée en Ukraine était emprunte de cette idée. De plus un couple de hollandais qui connaissait bien l’Ukraine m’a aussi dressé un tableau, moins extrême, mais quand même assez noir. Mais là c’est bon, les nuits j’ai confiance et c’est sans appréhension que je cherche un lieu pour dormir. Les bruits nocturnes ne me font plus peur et je ne dors plus ma bombe anti agression près de moi. Je comprends mieux le mode de fonctionnement des gens et je comprends surtout que la vie ici n’est pas facile.
Je me suis enfuis de la mer noire, les plages sont terreuses et inaccessibles. La terre borde la mer avec des falaises de terre noire très dure. Alors je remonte vers le nord en longeant le fleuve énorme qui coupe le pays en deux. Il est tellement large par moment qu’on a du mal à apercevoir le rivage en face. Les routes sont toujours aussi mauvaises mais ça y est j’ai appri la danse du soûl sur ma moto. Non les gens ne sont pas bourrés au volant, c’est juste la manière ukrainienne de rouler !!! Le slalom entre les obstacles qui se trouvent sur la route.
Dimanche matin je me suis arrêté sur le rivage pour me faire une douche naturelle quand un vacher est passé et nous avons commencé à discuter en ?? anglokrainien !!! Il veut m’offrir un café chez lui et hop il a rentrer ses 4 vaches dans l’étable et m’a accueilli. Une petite maison de trois pièces : 2 chambres et une pièce de vie. Surface totale environ 25 m². La cuisinière est une résistance branchée sur l'unique prise électrique de la pièce que l’on plonge dans une bassine d’eau, la vaisselle est lavée à l’eau en l’économisant. Il n’y a pas l’eau courante mais on se lave les mains et le visage avec de l’eau bouillante avant chaque repas. Ils sont trois à y vivre : Pablev le vacher 23 ans, sa maman malade des yeux et du diabète et Katia sa chérie qui vient d’un village voisin où elle était maltraitée par ses parents. Nous avons bu un café et m’ont invité à manger : comment refuser. Et puis un frangin parlant anglais s’est trouvé au téléphone et a traduit pendant une demi heures questions et réponses, c’était marrant.
Re-invitation pour rester la nuit et le lendemain car lundi c’était les 20 ans de Katia. Alors si c’est les 20 ans de Katia OK. Je me suis changé en vacher l’après midi et Pablev m’a parlé business. Il veut que je m’associe avec lui pour financer 5 autres vaches et développer ainsi sa ferme. Difficiles moments car sans compréhension précise, la discussion prend du temps et on tourne autour du pot. Il crois que 5000$ c’est rien pour moi. Normal, je roule sur une moto qui coute ce prix et je m’amuse pendant des mois à rouler avec sans avoir besoin de gagner d’argent !!! Et oui décalage. Comment comprendre que tout ce que je possède appartient à la banque et que je n’ai pas cette somme, alors que lui se nourrit à crédit en attendant les ventes de son lait. Mais on a vraiment sympathisé et c’était très agréable. Lundi c’était la fête, il a fait un barbecue pour 10 alors que nous étions que 5 à manger, il voulait vraiment faire plaisir à sa chérie. Nous avons dansé sur une musique arménienne, car ses parents y sont originaires, nous avons prit des photos et j’ai offert une paire de boucle d’oreilles à Katia, elle était fière de savoir qu’elles viennent de France. Ce fût son unique cadeau. Elle a préparer un énorme gâteau avec 21 bougies, on fête l’année qui vient. Je les ai emmené faire un tour en moto dans le village et je suis parti. Très bon moment qui m’a réconcilié avec les habitants et mes préjugés. Mais j’étais heureux de retrouver ma liberté, avec un nouveau souffle. J’ai trouvé un magnifique site où planter la tente surplombant un bras de rivière. Douche solaire top, à poil en pleine nature sans personne avec les grillons qui chantent. Bon moment de sensation de liberté. Comme quoi on a pas besoin de grand-chose. Ça m’a rappelé les landes, j’étais sous les sapins à longues épines dont l’essence est enivrante.
Hier j’en suis parti tard et j’ai pu tirer de l’argent et pu faire des courses. J’adore le regard des personnes qui me voient arriver, c’est un mélange de curiosité et de stupéfaction : C’est quoi ce taré qui parle pas russe ???? Petit dodo en campagne et ce matin j’étais décidé à trouver un camping (il y en à 3 dans toute l’Ukraine indiqués sur ma carte) et me laver à l’eau claire et faire un brin de lessive quand je me suis fais littéralement kidnappé par un gars en voiture en ville. Il m’a stoppé et à appelé un pote qui parle français : il fait partie d’un club de biker et tient un bar rock and roll le Oberhausen café. C’est un bar branché avec internet et tout ce qui faut. Il m’invite à manger, à dormir chez lui et à passer la soirée au bar. Trop cool. Zip, retour à la civilisation. J’ai pu prendre un bbbbain chaud, je vous raconte pas la couleur de l’eau après m’être savonné. Passons, ensuite une lessive dans la baignoire, là aussi la couleur était, comment dire …. Passons. Et j’ai même pu laver la moto repeinte couleur camouflage à base de moustique et autres insectes volants et surtout j’ai pu virer la couche de suie des gaz d’échappements. Elle était contente la petite et elle se porte bien. Je la ménage et ne roule pas à plus de 90 km /h du coup consommation réduite. Ce soir j’ai proposé à Alex de faire un topo sur mon voyage à ses amis bikers.
Le temps est splendide et je n’ai toujours pas eu d’eau depuis Versailles. Ça fait déjà trois semaines… j’ai l’impression que c’est long et en même temps que c’est court. Je perds pas mal la notion du temps et il faut souvent que je vérifie la date sur l’ordi ou le téléphone. C’est un peu bizarre et déphasant. Dans une semaine je passe la frontière russe. J’ai l’impression que le temps passé en Ukraine m’a forcé à m’habituer aux pays soviétiques et c’est bien comme ça je pars confiant.
Je comprends aussi que le monde est un miroir, il nous renvoie nos propres démons et notre propre beauté.
Quelques photos des mes amis et de mon quotidien.
Je vous embrasse très très fort.
Michaël
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