Je sens que se presse et se contracte quelque chose en moi. La peur est présente presque tout le temps. Je suis neuf, lisse, il faut me roder. La peur est là tapie dès que je traverse une ville, un village. Le dernier phare connu à Stuttgart chez Fabian mon ami allemand. Cela me rassure et je sens une part de moi qui aimerait capter toute l'Allemagne de cet être. Je voudrais aspirer toute la culture de ce pays afin de me rassurer, pouvoir afficher : « hey je connais un allemand, je suis un amis !! » Mais je repars le lendemain avec mes peurs. Je fais un peu de tourisme sous la pluie froide, je tâche de m'ouvrir à l'extérieur. Mais c'est gris dehors et c'est gris dans mon cœur. Vivement que je me retrouve dans la totale inconnue, mais pas là, le cul entre deux chaises ! J'avais décidé de dormir en bivouac le plus souvent possible, voire chez l'habitant si j'ose. Voilà que le soleil descend tranquillement sur l'horizon. Il va falloir trouver un endroit où dormir. J'ai peur. Je ne vois pas de coins cachés, je ne connais pas l'environ ni la manière dont sont organisées les routes qui semblent sans cesse éviter les villages. J'ai peur et pourtant il va bien falloir trouver un lieu, le soleil ne va pas m'attendre. Allez, je me lance, je vois un bout de terrain proche d'une ferme. Je m’arrête à la ferme et dans un très mauvais anglais je demande si je peux planter la tente. Ils ne parlent pas anglais ni français. Mais dans les yeux je lis bien mieux que si je connaissais la langue. Je commençais à découvrir le langage universel. Ça brille, c'est franc et en deux gestes ils me montrent une cabane en bois où je peux dormir. Une cabane faite de rondins qu'il a fabriqué lui-même. Il sculpte le bois et me montre ses œuvres. Première nuit chez des inconnus.
Au réveil je me rends compte que ma moto a un problème, le cardan semble avoir un point dur et c'est pas bon signe. Il faut dire que la moto est vielle (1990) et à déjà beaucoup roulé. Il n’emmène au garage puis me trouve une pension familiale pour les quelques jours d'attente de la pièce de rechange. Je vis là la première aide d'un inconnu. Ces dons sans restrictions, simples, authentiques et tellement importants pour moi, j'en recevrai des tas et des plus improbables.
Ces quelques jours passés me permettent de me poser, de détendre mon corps de toute la tension accumulée. Et les peurs s'estompent. Je me sens en sécurité et cette expérience me conforte dans cette sécurité. Je rencontre une jeune femme allemande qui habite près de la frontière Thèque et qui m'attend pour passer une journée une journée ensemble. Les âmes complices s'égrainent tous les jours sur le chemin. Une après l'autre m'apportant le besoin du moment. Et la mienne apportant elle aussi un besoin pour l'autre dans la rencontre. Le mouvement de la vie, en écrivant ce lignes cette trame invisible relient tous les êtres m'apparait soudain. Le hasard n'existe pas. Seul l'Esprit existe. L'Esprit qui prend toutes les formes, l'Esprit qui informe toutes les cellules de tout ce qui Est. Et ainsi la communication est parfaite et les expériences peuvent être vécues. Le calme est présent et je me vois même imaginer changer ma direction pour passer par l'Autriche non loin de là. Ça se détend, la respiration est plus ample et finalement je n'irai pas en Autriche.
Je frissonne, je vibre, je vis. C'est comme si moi-même je voyageais, comme si moi-même j'avais peur des rencontres et comme si moi-même j'étais émerveillée de la bonté des humains qui cherchent à donner. D'ailleurs ce n'est pas "comme si", c'est, et c'est vrai, je vis tout cela par le récit que tu offres là.