L'automne est là, les températures refroidissent, l'énergie portante de l'été n'est plus et je sens une sorte d'urgence à rentrer, à tailler la route, à suivre le soleil couchant, à ne plus flâner. À mesure que j'évolue vers l'ouest, l'aspect sauvage des vastes étendues laisse place à un environnement plus petit, limité. Les routes sont meilleures, je croise plus de villages et de villes et les bivouacs commencent à se faire rares. Tout cela me donne l'impression que tout se rétrécie autour de moi. Je sens une sorte d'aigreur au fond de moi : le voyage se termine et c'est en retrouvant un environnement qui me rappelle l'Europe que je prends doucement conscience que la fin approche, qu'autre chose va se présenter à moi et qu'un jour je parlerai de ce voyage au passé. C'est avec un fond de tristesse que j'aborde cette partie de mon périple. Dés lors, je ne cesserai de jouer avec la météo, les distances et les lieux de bivouac.
07 octobre 2011 Azerbaïdjan.
Toujours pour vous. Pour moi aussi.
De nuit le bateau arrive au port de Baku, les abeilles aident à la manœuvre, elles poussent, tirent ce bateau de plus de cent mètres de long. Le bateau tourne sur lui-même lentement, je suis impressionné par l’inertie de cette carcasse. L’ambiance est électrique, la manœuvre est délicate. Le bateau accoste et les douaniers y entrent. Ils sont énervés et gueulent partout. Je ne comprends rien. Formalités de passeport en 5 minutes et je me dis que c’est de bon augure. On appelle ceux qui transitent en Azerbaïdjan. J’en fais partie. Alors je suis un officier dans sa lada avec deux autres chauffeurs et nous voilà filant dans Baku en direction du centre de contrôle des douanes. Pareil, les gars sont de sale humeur, ils gueulent, jettent les papiers, font claquer les tiroirs. Moi je reste calme, je sais que je suis en règles. Mais quand vient mon tour, après quelques allusions à notre président qui est venu en visite dans le pays quelques jours plus tôt, on m’annonce une taxe à payer : 10 $. Pas d’argent sur moi j’en emprunte à un des chauffeurs. Retour en taxi très tard ou plutôt très tôt le matin. Je retrouve Misa sur le quai qui m’attendait avec mes affaires que j’avais laissées dans le bateau. Je sors la moto du bateau et vais me coucher dans une cabine d’un camion. Merci à vous chauffeurs de m’avoir accueilli si gentiment.
Nuit courte, petit déjeuner entre deux camion avec Misa et les chauffeurs. Le ciel est bleu et le soleil brille, un vent chaud souffle doucement. J’ai la pêche, je suis en Azerbaïdjan et je sens mon thorax qui veut s’emplir de cet air nouveau. Sensation que je vis à chaque passage de frontière, à chaque fois je peux sentir une différence : une odeur, une chaleur, des visages qui changent, oui j’ai changé de pays. Me voici donc le visage souriant et plein d’énergie arrivant à la porte du port. Les gars sont sympas et se marrent en me voyant arriver. On contrôle mes papiers mais il en manque un ! quoi !!! oui monsieur, vous n’avez pas payé la taxe du port ! quoi !!!! Mais j’ai déjà payé hier soir, ou plutôt ce matin très tôt. Non ce n’est pas la même, vous devez payer 100 $. Pas un radis sur moi, je fonce en ville chercher un distributeur. Je me fais encore aider par ces personnes croisées et je reviens avec la somme. Je paie. Les portes s’ouvrent. Ouf. Bonjour Azerbaïdjan !!
Je traverse la ville non sans me perdre 10 fois, déjà je peux me rendre compte qu’ici on ne rigole pas avec les voitures. Anarchie mon amie sois la bienvenue !!! Quel bordel !! Je sors enfin de la ville. Les visages sont doux sur les trottoirs, les visages sont durs dans les voitures. On peut imaginer qu’une guerre vient de frapper, ou qu’une catastrophe a eu lieu. Tout le monde roule à fond la caisse, comme des fuyards vers un hypothétique eldorado. Sauve qui peut.
Les visages ne sont plus les mêmes, les femmes portent un foulard sur la tête, les enfants restent des enfants me faisant coucou avec un grand sourire. Il fait chaud et j’ai l’impression de me retrouver en Mongolie pour la deuxième fois, je me retrouve dans un paysage vallonné et pelé. Tout est très sec et des troupeaux de moutons essayent de trouver un coin d’herbe pour se nourrir. Les routes sont belles, enfin une route lisse et brillante. Je roule prudemment et évite de justesse deux accidents qui auraient pus s’avérer fatals. Je sais anticiper depuis ces mois de conduite dans ces pays. Du désert je passe ensuite à un paysage arboré, les fruits apparaissent sur le bord des routes : raisin blanc, oranges, grenades, pommes, poires…. Un feu d’artifice de couleurs sur ces étales où chacun semble avoir disposé ses légumes d’une manière artistique, les contrastes sont là, la régularité y est aussi de temps en temps, les monticules de fruits ou de légumes donnent envie. Le sourire je le croise partout sauf dans les voitures.
Je trouve un coin ou passer la nuit et un essaim d’oiseaux danse pour moi sur une partition que seul l’univers connaît.
Ici il serait bon de voyager à pieds ou en vélo, le pays est petit au paysages très variés, les gens sont accueillants. Un autre voyage peut être. Pour l’heure je traverse et arrive à la frontière avec la Géorgie.
Suite en Géorgie.
Je vous embrasse encore.
Michaël.
11 octobre 2011 Géorgie à la frontière turque.
Passage de frontière rapide, ça devient de plus en plus facile car il n’y a plus besoin de visa à partir de maintenant et les formalités sont allégées. Heureux d’entrer dans ce pays. Ce pays pour lequel j’ai entendu tant de bien. Ma traversée s’avère magnifique « d’authenticité ». Je vogue dans cet espace où tout n’est que cliché, cliché photographique que j’ai pu voir dans des bouquins qui parlent de ces fabuleux endroits. J’ai droit à tout : âne tirant carrioles, mamie voutée au visage souriant et buriné par la vie toute de noir vêtue, gamins courant sur le bord des routes, maisons minuscules au décors de bois brodés, en fond la montagne et les rivières, en haut le ciel bleu et le soleil. C’est doux, c’est simple, c’est magique, c’est la vie.
Je décide de prendre la route du sud, celle qui passe par les montagnes, j’aime tant les montagnes. Je ne suis pas déçu, j’ai les larmes aux yeux, je roule sur des routes caillouteuses bordées par des à-pics vertigineux, je me retrouve dans les Alpes 30 ans plus tôt, les odeurs, les villages, les habitants, tout m’y amène. Que j’aime les montagnes, que j’aime respirer cet air, boire son eau fraiche. Tout y est brut et sans chichi. L’automne colore ses flancs de jaune ma couleur préférée, le blanc de la neige éclate sur les sommets. Cette neige que je touche, qui m’entoure, je suis comme un gamin. C’est parfait.
De moins quelques mètres en Azerbaïdjan je passe à plus 2025 mètre en Géorgie. Ce col où je suis accueilli par cet homme qui voit débarquer un fou sur sa moto. Il rigole, il en a vu d’autres. Il m’indique la route. Trois paroles échangées entre deux hommes dans cet nature fraiche et pure.
Puis descente, comme pour m’obliger à me réveiller, à atterrir. Descente majestueuse jusqu’à la mer, jusqu’à la mer noire, ici la montagne se jette dedans. J’arrive à la frontière Turque, je trouve un hôtel donnant sur la mer et je passe ma deuxième nuit en Géorgie. Demain je passe en Turquie. Demain je vais rouler entre montagne et mer.
A demain en Turquie.
Je vous embrasse.
12 octobre 2011 Turquie.
Voilà, la Turquie, le vent est chaud, la mer est belle, le ciel toujours aussi bleu et les villages succèdent aux villes qui succèdent aux villages. La route de bord de mer est une exposition d’immeubles, un stock d’immeubles. Là où la montagne n’est pas, l’homme y est alors on construit où c’est plat et ces immeubles me font penser à ces camions soigneusement rangés rétro contre rétro dans le bateau. On peut imaginer les premiers habitants des premiers immeubles heureux d’être face à la mer. Maintenant, un autre immeuble s’est construit devant à 5 m et puis devant celui-ci encore un autre et puis à gauche et à droite. Des fois les immeubles sont fins, engoncés entre deux autres.
La route est belle, elles est bonne, ennuyeuse.
Trabzon j’y trouve mes pneus. La moto est parée pour les routes de goudron avec ses pneus route, je me suis fais invité à manger par le garagiste et puis j’ai trouvé un camping pour y passé la fin de la journée et la suivante. J’ai besoin de me poser un peu. Ici le camping sauvage est difficile à cause du relief. Les terrains plats sont utilisés par les habitations. Alors je suis à environ 20 km de Trabzon dans les terres entre deux montagnes. Le gérant est russe et je suis le seul à camper. Il m’a à la bonne et m’offre nourriture et café. Il a le sourire généreux et la descente facile.
Demain je pars vers l’ouest. J’ai environ 1400 km avant d’arriver en Grèce, je compte mettre 3 jours. Ensuite je vais traverser la Grèce avant d’arriver en Albanie pour prendre le bateau pour l’Italie. Puis bateau pour la Tunisie.
Je vous embrasse. Je me rapproche, plus que 2 h de décalage. Je suis partis il y 30 000 km et cinq mois et demi c’est dingue.
Michaël.
Je laisse au sud toute la partie du pays que j'aurais aimé parcourir. On m'a beaucoup parlé de la beauté et de l'ambiance du sud de la Turquie. J'aurais aimé me frotter à la frontière Irakienne pour aller voir et pour sentir de loin ce pays qui m'a tant marqué durant la guerre d'Irak. J'étais jeune et les images que j'ai vues aux informations avec les missiles illuminant la nuit m'avaient marqué au fer rouge. À cette époque je devais avoir dans les 18 ans et je me rappelle que mes copains et moi avions peur de devoir partir à la guerre.
J'ai du rester quelques jours dans ce pays et c'est là que j'ai eu le plus froid. J'avais l'impression de devoir lutter pour sortir de ce pays qui me semblait démesurément grand. Je n'ai fais que traverser en suivant un ruban d'asphalte plat et très ennuyeux. J'ai traversé Istanbul et c'est sur un pont de l'autoroute que je réalisais que j'entrais en Europe. Je n'ai pas voulu m'arrêter, je voulais m'enfuir, je ne supportais plus cette fin de voyage qui n'en finissait plus. J'avais mis mes oeillères et je roulais. Je ne voulais pas voir ce qui vivait au fond de moi, je ne voulait pas affronter la tristesse, je me sentais en déséquilibre et je cherchais de nouveaux repères, un nouveau sol où je pourrait m'arrêter, stopper ma course folle.
Enfin, j'arrive en Grèce. Ce fût le passage de frontière le plus dur. Je ne le savais pas, mais tout le pays était en grève et la colère grondait partout. À la frontière, ça a été la seule fois où le douanier à fouillé toute ma moto. Il a mis toutes mes affaires par terre, brisant un lecteur MP3 et me laissant comme ça à devoir tout ranger alors que je bloquais la circulation des autres arrivants. Il me gueulait dessus pour que je dégage, ce que je fît rapidement. Bienvenu en Europe !! me suis-je dis.
16 Octobre 2011 Igoumenitsa.
Chers tous,
J’ai trouvé mieux qu’un hôtel !!! un camping et ma tente est à environ dix mètres de la mer, je suis à Igoumenitsa. Et puis, et puis, 20 degrés !!!!!! douche chaude et internet. La perfection encore et toujours.
Ici aussi les montagnes plongent dans la mer, les routes serpentent le long de la côte, le soleil est là et comble pour cette journée : ce matin j’avais l’onglet aux doigts des mains et des pieds tellement j'avais froid et puis je me suis baigné dans la méditerranée cet après midi !!!?! Incroyable non ?
Après la manche que j’ai quitté fin avril, la mer noire que j’ai touché en Ukraine puis en Turquie, la mer d’Aral au fond de laquelle j’ai posé mes pieds, la mer Caspienne que j’ai traversé, la mer Egée que j’ai aperçu de loin, voilà la mer méditerranée. La boucle est bouclée. D’ailleurs je me faisais une réflexion en roulant sous cette pluie froide : Tant d’eau, tant d’eau sur cette terre, cette vie liquide qui est là depuis bien avant nous. Cette eau qui nous entoure nous a composé hier, a composé nos ancêtres, a composé toute vie jusqu’ici. Imaginez que l’eau de votre corps a déjà été bue par tant d’êtres, imaginez que l’eau qui est en vous était dans le corps d’un dinosaure, ou de votre voisin. Cette eau, cette vie, est la même depuis qu’elle est sur la terre. Pas une goutte n’en est parti, pas une goutte de plus a rempli un océan. Je trouve ça incroyable. Par conséquent l’eau que nous salissons et que nous polluons, c’est comme polluer le corps de notre enfant, comme polluer notre corps et celui de tout être vivant. Cette eau qui est purifiée et distribuée par le cycle perpétuel des saisons, des montagnes, des océans, des courants. Cette masse est là, elle est nous aujourd’hui, a été nous hier, sera nous demain. Cette eau que nous oublions, un robinet à tourner et hop de l’eau, cette vie que nous oublions, un réveil, une journée comme une autre et hop la vie est passée. Si nous prenons conscience de la valeur de l’eau alors nous prendrons peut être conscience de la valeur de notre vie.
La route d’est en ouest que j’ai prise traverse une fois de plus les montagnes du nord de la Grèce, ces montagnes sont percées de multiples tunnels aux longueurs incroyables. Je n’y ai vu que l’autoroute, trop froid et trop humide pour me farcir les petites routes de montagne. C’est serré contre ma moto, les muscles tétanisés que j’ai parcouru ces centaines de kilomètres. Je suis content d’être au chaud. Quoi que, ça se couvre pas mal et le vent s’y remet.
Quoi qu’il en soit je me retrouve dans ma carte postale. Petit camping typique avec bougainvilliers en fleur grimpants le long des terrasses apportant de la couleur et de la fraicheur, oliviers énormes donnant de l’ombre et aussi des olives qui couvrent le sol, mer bleu et transparente sans une vague sur une plage de sable blanc. Quand je me suis baigné l’eau était turquoise et entrer dedans ne demande aucun effort, la température est parfaite. En face une île, une grande île. Demain je vais me balader un peu et acheter mon billet pour aller en Italie à Brindisi. Je compte partir mardi, puis rouler jusqu’à Salerne et aller visiter Pompéi et le Vésuve. Ce vieux rêve de gosse, et oui encore un ! Puis le 21 je partirai pour Tunis puis le sud vers Tozeur où je vais rencontrer des amis que je ne connais pas encore. Puis retour par le bateau une fois de plus vers Marseille.
Je vous embrasse.
Michaël.
Je me trouve contraint de rester plusieurs jours à attendre une fois de plus le départ d'un bateau pour l'Italie. Certain personnel administratif n'ont pas été payé depuis plusieurs mois et la colère gronde. La grève bloque les passages de frontière. Je tente de passer par l'Albanie mais me retrouve bloqué avec une foule de camions et de voitures avec des passagers qui campent sur le bord de la route. C'est dans un camping que j'attends une ouverture. Tous les jours je vais au port faire le point de la situation.
Et puis, un soir j'apprends qu'un bateau part le lendemain matin de bonne heure. C'est de nuit que je range dans l'urgence tout mon paquetage et que je fonce jusque dans le ventre froid et dur du bateau qui m’emmènera en Italie.
Michaël.
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